- Laheedjah Tikidanke
BlacK k Klansman - L’effet “cul-entre-deux-chaises” du Brother Spike.

Grand Prix du Jury au dernier Festival de Cannes et fort d’une promotion particulièrement calibrée pour sa sortie, BlacKkKlansman – dernier bébé du Brother Spike Lee – raconte l’histoire vraie de Ron Stallworth (1), premier policier et inspecteur afro-américain de la police de Colorado Springs qui infiltre l’organisation suprémaciste blanche du Ku Klux Klan (2) en 1979.
Si la bande-annonce est clairement jouissive, l’affiche représentant Stallworth affublé d’une cagoule du KKK, poing levé et peigne afro blaxploitation dans l’autre main, donne plus que jamais le ton.
Et pour mettre en images ce récit des plus insolites, Spike choisit en tout premier lieu l’humour.
Sur ce coup, et face à une salle bondée qui s’en est donné à cœur joie question crises de rires, on peut dire que la mission est accomplie. Cependant, j’ai personnellement eu plus de mal à rire à absolument tout lâché sur mon écran, puisque pas vraiment non plus venue voir une pure comédie saupoudrée de quelques pourcentages académiques de tragique, ce que le film laisse le plus souvent entrevoir.
Acide, BKKK l’est, mais pas assez. Drôle, il l’est également. Mais TROP.
Orné d’un bande-son surpuissante, mettant en exergue la beauté Noire et bien que sympathique au demeurant, on n’est (malheureusement) pas non plus dans la veine d’un « Malcolm X », mais plutôt dans celle d’une adaptation grand écran qui se chercherait entre un Funky Cops (3) et un épisode au sujet dramatique de Starsky & Hutch, plutôt qu’un fait réel avec le KKK pour toile de fond.
En gros, c’est comme si Spike Lee te dit, « ok le sujet est tragique, mais on va mettre une dose d’humour pour montrer à quel point les autres en face qu’on est en train de combattre sont tellement cons que c’en est risible ».
Risible, je veux bien. Mais là on frôle la surenchère. Car divertir sur fond d’événements tragiques peut passer, mais à condition aussi de doser équitablement les parties humoristiques sans virer à la franche rigolade à tout bout de champ, surtout quand il n’y a pas forcément de quoi.
Même en faisant passer le KKK pour des redneck couperosés à la frontière de l’illétrisme au point d’éclater la sangle abdominale du public comme un seul homme, il n’en demeure pas moins qu’on est surtout en train de parler d’un groupuscule aussi capable des pires exactions, comme traîner jusqu’au démembrement des afro américains sur des kilomètres attachés au pare choc de leur véhicule (affaire James Byrd Jr – 1998) (4), brûler des églises avec des gosses dedans (attentat de l’église baptiste de Birmingham - 1963) (5), les pendre à des arbres, quand ce n’est pas pour les émasculer, les violer, voire les battre à mort sous prétexte d’avoir manqué de respect à une femme blanche (affaire Emmett Till - 1955) (6).
C’est là que j’ai du mal avec le BKKK de Spike Lee qui, supposé raconter l’un des actes les plus forts de l’histoire afro-américaine des 70’s, choisit la dérision au point d’en mettre un mauvais coup dans le traitement même de l’enquête menée par Ron Stallworth, jusqu’à perdre son personnage dans la masse.
J’en veux pour preuve les invraisemblances dans la mise en place et le déroulement de l’infiltration. Peut-être volontairement occultées par Spike, qui a sûrement préféré mettre en avant le côté ridicule du KKK, si ancré dans son idéologie de haine qu’il a pu se contenter d’un « I Hate Niggers » au téléphone pour recruter son interlocuteur sans vérifier son pedigree.
Là où, en revanche, je retrouve la verve tant attendue du bien-aimé Spike, c’est dans le point d’honneur que met le Frère à te divertir avant de te mettre à mort (voir des tueries comme « Bamboozled » ou « Do The Right Thing » pour comprendre) (7) (8). Si Spike t’a éclaté pendant 2 heures en te picotant entre deux, il t’écrasera à la fin.
BKKK, c’est Spike qui t’offre un bonbon particulièrement acidulé à suçoter juste avant de te l’arracher des mains et te lâcher un bon seau d’eau bouillante dans la gueule à la place.
Spike a le don pour te diriger – voire te perdre – dans 10 000 directions dans son récit, pour ensuite te mener droit dans le mur de la dure réalité, images d’archives à l’appui. Ici, la fin de récré sera sifflée par le vrai visage du KKK, sans plus aucune fioriture annexe, et laissant (peut-être dans un silence de mort finalement bienvenu) le public totalement interdit face à son écran.
Ce vrai visage, c’est ce KKK qui, même sous un autre nom, a encore pignon sur rue en 2018, au cœur duquel un gars comme William H Parker (9), chef de la police de Los Angeles dans les 60’s, y a recruté son monde pour grossir ses rangs, laissant jusqu’à ce jour les séquelles putassières que l’on sait à travers les États-Unis (Rodney King, Oscar Grant, Walter Scott, Eric Garner, Michael Brown, Keith Lamont Scott, Philando Castile Alton Sterling et bien d’autres encore).
À ce titre, et pour raconter une telle histoire, il aurait peut-être alors fallu que Spikie ne se contente que d’un documentaire supra couillu avec la patte incisive qu’on lui connaît, plutôt qu’un long métrage semi-burlesque, et qui m’a quelque peu manquée dans ce film.
Côté prestation maintenant, et bien que je déplore les jeux (selon moi) un peu fades d’Adam Driver et de la jolie Laura Harrier, celui de John David Washington (dont la voix totalement identique à celle de Papa Denzel relève quasiment de la science-fiction) s’avère aussi sans prétention qu’honnête, mais reste surtout (en grande fan de Spike Lee que je suis) à surveiller pour des collaborations que j’espère sincèrement futures ensemble.
En conclusion, BKKK demeure à mon sens un film à voir car ayant le mérite d’exister, même s’il aurait mérité d’être un peu plus fouillé, surtout quand on connaît le genre de scud visuel qu’a déjà pu lâcher par le passé un LION comme le Brother Spike.
À vous maintenant de vous faire votre propre idée.
Chronique live également disponible ici :
https://www.facebook.com/laheedjah.tikidanke/videos/10215394871658571/
(1) Ron Stallworth
(3) Funky Cops
(5) Attentat dans l’église baptiste de Birmingham - 1963
(6) Affaire Emmett Till - 1965
(7) Bamboozled - The Very Black Show