- Laheedjah Tikidanke
DJANGO Unchained, ou quand « Racines » et « Kill Bill » ne font plus qu'UN.

Tarantino, le sale gosse de l'Amérique à la tronche de psychopathe de BD doté du pouvoir surnaturel de t'enthousiasmer et te saouler en une fraction de seconde, et que j'imagine très bien s'éclater à se mater ses propres films chaque dimanche après-midi chez lui en hurlant toutes les deux scènes, la bouche remplie de pop-corn : « I FUCKIN' MADE THIS », est de RETOUR.
Et pas des moindres. Le retour. Car il est hardcore, politiquement incorrect, violemment corrosif et maladroit aussi, mais a tout du genre de retour dont on n'aurait probablement pas soupçonné l'envergure.
Après un (selon moi) ratage pur et simple avec le trop bavard « Inglourious Basterds »(1) joué par un Brad Pitt lâchement caricatural et une sous Beatrix Kiddo de cinéma de quartier, je flippais clairement à l'idée d'un nouvel opus où Tarantino oserait à nouveau s'emparer d'un pan de l'Histoire – ici l'esclavage, mais avec cette touche personnelle, prétentieuse et souvent irrévérencieuse qui est la sienne et pourrait donc poser problème.
Personnelle est la touche car reconnaissable entre 600 milliards : des dialogues à rallonge, une bande-son volontairement inappropriée, un humour sale à toute épreuve, de l'hémoglobine à outrance et des happy ends supra utopiques où le héros parvient à se démêler des pires péripéties sans jamais risquer de se faire fumer à des kilomètres à la ronde.
Prétentieuse est la touche car Tarantino prend un plaisir plutôt malsain à te coller sa culture cinéphile entre les dents, en truffant sa pellicule de clins d’œil que le spectateur captera ou pas. Ici, dans Django Unchained, les références sont innombrables. La référence aux effets causés par une blessure par balle dans le genou (citée à chacun de ses films), celle faite à Shaft (la femme de Django est son aïeule), l'apparition de Tom Wopat, le Luke Duke de la série « Shérif fais-moi peur », jouant ici le rôle d'un... Shérif, ou encore Michael Parks, vu dans le cultissime « Kill Bill » sous les traits d'Esteban Vihaio et du sherif d'El Paso, sans oublier Franco Nero... interprète original italien himself du « Django » de 1966... et ainsi de suite.
Irrévérencieuse est la touche de Tarantino car son meilleur atout peut aussi se révéler être sa plus grande faute : l'humour. QT peut te faire rire dans toutes les situations, mais il y a des fois où « la vanne qui tue » n'est pas franchement nécessaire, voire mal placée, quand elle ne frise pas carrément l'indécence.
En choisissant de traiter de l'esclavage sur fond d'ambiance Western revanchard, Tarantino, qui prouve une fois de plus qu'il peut tout se permettre, a le mérite de ne PAS cracher sur l'Histoire, mais bien au contraire de l'avoir livrée en mettant son Amérique face à sa propre barbarie, sans concession, et faisant passer les « Nord et Sud », « Couleur Pourpre » et autres « Amistad » de Spielberg pour des comptines pour autistes.
La tentation d'entrée de jeu, en regardant Django Unchained, est de le cataloguer sous-parodie de série B où tout est prétexte à promouvoir la violence gratuite et insulter la mémoire des Ancêtres esclaves. Il n'en est rien (en tout cas pas pour moi). Ce que j'ai trouvé gratuit en revanche, c'est l'hémoglobine, ces effusions de sang deux fois plus Tarantinesques que la norme (et donc ici clairement abusives), et l'humour placé dans des situations communes dont on aurait largement pu se passer.
Mais ce que j'ai trouvé utile est aussi ce qui m'a le plus positivement révoltée, tout comme la « Venus Noire » d'Abdellatif Khechiche(2) en son temps : la mise en image aussi réaliste que brutale décrivant le quotidien des esclaves, qui - RAPPELONS-LE - étaient perçus comme de simples biens meubles par leurs propriétaires et régisseurs.
Je ne trouve pas gratuit de montrer des esclavagistes parier sur des combats à mort d'esclaves, posément lotis dans leur fumoir, cigares en gueule et verres de whisky au poing, ni de voir ces esclaves se faire fouetter, marquer au fer, se faire constamment traiter de « NÈGRE » ou mettre à mort par une meute de chiens pour avoir voulu fuir la plantation de leur « maître » ; on va recadrer les choses : on parle ici d'ESCLAVAGE pré-guerre de Sécession. Et bien malgré l'univers furieusement atypique qu'on lui connaît, Tarantino a au moins le mérite d'être l'un des premiers à CONCRÈTEMENT filmer LA CHOSE dans son plus simple appareil, sa plus simple cruauté, sans faire preuve de pudeur ni d'une quelconque censure patriotique qui irait caresser l'Amérique dans le sens du poil afin qu'elle continue de pioncer sur ses deux oreilles (d'où le fait que son film soit considéré comme "anti-blanc" outre-Atlantique).
J'aime finalement plus encore le fait que Django soit revu et corrigé façon Western Afro, dans le sens où le western à une époque, ne dérangeait nullement tant qu'il s'agissait de « tuer-les-gros-méchants-Indiens-grands-scalpeurs-devant-l'Eternel », de la même façon qu'il dérange étrangement moins de s'éclater sur 7 volets à la file de « SAW » que de se coltiner 2 h 40 de faits historiques distillés dans une réadaptation sauvage d'un film de genre des 60's. Une sorte de revanche qui ne dit pas franchement son nom, mais qu'il m'arrange bien sincèrement d'interpréter comme TELLE.
Maladresses mises à part, et avec un mal fou à le reconnaître avant la première demi-heure de projection ; je ne peux qu'attribuer à Tarantino le mérite d'avoir fait CE film, truffé de salopards scéniques comme ce chasseur de prime pragmatique irrésistible de Christoph Waltz (aussi vu dans Inglourious Basterds dans le rôle de l'ultra-bavard général nazi), et plus que jamais cet incontournable fou furieux de Leonardo Di Caprio, dont le jeu à chaque nouveau film ne fait que confirmer l'insupportable norme de son talent. Jamie Foxx quant à lui, reste un peu timide dans l'expression mais arrive à se démerder, même si – il faut l'avouer, on l'oublie quand même assez vite au profit des deux autres qui fument clairement TOUT sur leur passage.
N'oublions surtout pas Samuel Jackson, prodigieusement haïssable sous les traits d'un traître à la cause et bien nourri par son maître, mais aussi Walton Goggins que les fans de « The Shield » auront sûrement reconnu et qui, comme dans la série, joue un bon gros facho de base qui – là aussi, finit MAL.
Bilan ? Je ne jetterai la pierre ni au Brother Spike Lee qui a refusé de voir le film (et dont la décision – paradoxalement – ne me choque pas), ni à Tarantino qui à mon sens NE M'A PAS INSULTÉE EN TANT QUE DESCENDANTE D'ESCLAVE. On va être clair : les deux, chacun à leur échelle et style artistique, restent définitivement MES GUEULES.
A vous d'en juger maintenant.
Note à Di Caprio :
Très dommage que tu mettes un terme épisodique à ta carrière, Homeboy ; t'éloignes juste pas trop longtemps, mec, car preuve en est une fois de plus ce soir : ça va définitivement PAS LE FAIRE SANS TOI.
(1) Chronique "Inglourious Basterds" :
(2) Chronique "Vénus Noire" :
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