- Laheedjah Tikidanke
Venus Noire... Concession OUT.

En remontant dans ma mémoire, la dernière fois qu'un film a déclenché un tel torrent d'amertume, de colère et de violence en moi c'était "Racines", il y a plus de 20 ans, lorsque Kunta Kinte, qui refusait de se faire appeler "Tobby", a subi le supplice du fouet jusqu'à ce qu'il reconnaisse son nom d'esclave.
Sortie de projection de "Vénus Noire", je reste encore sans le verbe, sans la parole ni le sentiment poliment acceptable pour évoquer la profondeur de la colère, et de ce sentiment naissant de haine qui prend racine et menace de fleurir dans mes entrailles.
Vénus Noire est un brûlot sur pellicule. Une volée de gants cloutés bien sentis dans le ventre, une torture aussi visuelle que mentale, un supplice comme il est rarement l'occasion d'en voir d'une telle ampleur dans le cinéma français, quand il prend enfin la peine d'évoquer une personnalité historique Africaine.
En prenant l'initiative de porter pour la première fois à l'écran l'histoire de Swatche Baartman (exit le "Saartjie", dérivé de "Sarah" qui n'étaient que des noms attribués par ses bourreaux), Abdellatif Khechiche livre ici un film sans pitié, dénué de bons sentiments, sans aucune concession, et n'épargne rien - j'ai bien dit RIEN, au spectateur.
Au cours de ces 2 h 45 de séance, on n'a qu'une envie, c'est que le calvaire s'arrête, que la surenchère de torture psychologique prenne fin et qu'on sorte de là en se contentant de balayer ce long métrage d'un seul revers de main en accusant confortablement le réalisateur de voyeurisme obscur. Le problème est que tout ceci est une histoire vraie, et que comme pour mettre l'Homme face à sa propre Histoire couplée à sa plus profonde et éternelle ignominie, il nous administre une des raclées des plus insupportables qui soient en nous faisant vivre presque en temps réel les supplices subis par ce petit bout de femme à qui le destin n'a définitivement rien réservé de bon, ni d'encore moins humain.
En subissant le parcours de Baartman, "Vénus Noire" prend les traits d'une sorte de "Passion du Christ" portée au 19ème siècle, sous les traits d'une jeune sud-africaine, force de la nature perçue comme une étrangeté par l'œil occidental du fait de son anatomie hors du commun, jeune femme Noire aussi isolée que perdue entre le vœu utopique d'accomplir un rêve qu'elle ne réalisera jamais, et se retrouve emmurée dans un univers de cruauté exacerbée en prenant les traits d'une Joséphine Baker avant l'âge, qui se dandinait pour satisfaire les instincts les plus vils du genre humain, sans se rendre compte que c'est son honneur, son corps et son âme qu'elle mettait lentement à mort.
On a envie de dire STOP, quitter la salle, hurler, cogner, haïr, mais pas pleurer, tant les larmes n'ont pratiquement pas droit de cité devant une histoire aussi inconcevable qu'inhumaine.
Swatche, jeune domestique d'à peine 25 ans, ayant perdu tous les membres de sa famille, nourrit le rêve de faire de la scène. Son "maître", dont elle a allaité les enfants, qui la jure consentante à se laisser humilier sous prétexte de faire passer ça pour du théâtre, quittera femme et enfant pour sillonner le monde avec elle, mais pour des raisons bien plus obscures qui, non content de faire d'elle une bête de foire, la plongeront dans le monde de la prostitution, de la débauche, de la soumission et du total abandon de soi.
Disparue prématurément, sa mort n'aura en rien été un repos puisqu'elle continuera à faire l'objet d'études des plus racistes et douteuses qui soient, par le biais de soi-disant scientifiques pour lesquels son anatomie sera disséquée et exposée afin d'appuyer une thèse innommable sur la similitude entre le NEGRE et LES PRIMATES.
Exposée jusqu'en 2002 au Musée de l'Homme à Paris, la dépouille de Sawtche ne connaîtra le repos que plus d'un siècle après sa mort, quand sa terre natale la rappellera à elle afin de lui apporter une sépulture décente.
En dépit de l'indéniable insupportabilité de l'histoire de Sawtche dépeinte à travers ce film, reste absolument à saluer et plus que bien bas la prestation des acteurs dont on ne peut nier que l'implication dans une telle œuvre n'a pu se faire sans traumatisme, à commencer par Yahima Torres, dont l'impassibilité déconcertante de son personnage entrecoupée de brefs instants de relâche laisse absolument sans voix. De même, surtout et plus que jamais pour Olivier Gourmet, dans le rôle du forain pervers (vu dans Mesrine dans le rôle du Commissaire Broussard), et qu'on aurait presque envie de haïr dans le monde réel tant son jeu, politiquement aussi incorrect qu'abject, a pris un risque démesuré en acceptant un tel rôle, et s'en est sorti avec un réalisme plus que jamais haïssable.
Le point fort reste sans détour la fin du film, sans musique de générique, laissant le public dans un silence de mort des plus lourds qui soient.
Je ne peux me permettre de qualifier "Vénus Noire" de "bon film" ou autre "chef d'œuvre", car il m'apparaît personnellement impossible de qualifier un tel fait réel en le ramenant à un simple statut de divertissement. C'est tout simplement à voir, mais aussi à fortement déconseiller aux âmes sensibles... et ceux à la Mémoire Historique sélective.
L'histoire de Sawtche Baartman ici :