- Laheedjah Tikidanke
A la Recherche du Bonheur - Smith Père & Fils

Du Prince de Bel Air à Bad Boys, Men in Black, en passant par I Robot, et surtout Ali, on en arrive à ça. L'Accomplissement. L'Apothéose, la Maturité, le Talent, l'Incontournable Talent, l'Assurance, le Feu Vert, le passeport définitif pour la Consécration, la certitude de ne plus rien avoir à prouver auprès de ses pairs. C'est pour moi le cas de Will Smith avec ce film.
Le gars, que j'ai eu du mal à suivre sur grand écran après l'époque Jazzy Jeff / Fresh Prince, m'avait déjà lâché quelques claques après s'être fondu dans le personnage historique et truculent de Muhammad Ali. Sa prestance était telle qu'on en oubliait presque que Jamie Foxx, Giancarlo Esposito et Mario Van Peebles étaient de la distribution.
Ici, dans "The Pursuit of Happyness" (la faute d'orthographe est volontaire, en voyant le film vous comprendrez pourquoi), le jeu est grandiose, déterminant, déterminé, admirable, tout simplement à voir.
Il s'agit ici (et pour faire court) de l'histoire (inspirée de celle) de Chris Gardner qui, avec son fils, rencontre et subit ce que tout un chacun redoute un jour de vivre ; tout perdre (femme, maison, emploi).
On craint bien évidemment au départ de tomber soit dans le voyeurisme, soit dans le sirupeux vomitif et larmoyant à la manière de ces téléfilms de fin d'année qui se terminent inévitablement autour d'un bon feu, d'une réconciliation conjugale et d'un gigantesque et aveuglant sapin de Noël noyé dans une mare de cadeaux aux emballages criards et dorés. On a d'ailleurs presque l'impression au départ de le frôler, cet esprit.
Mais si l'histoire - malheureusement banale et ô combien courante à travers le monde, ne suffit assurément pas en elle-même pour rendre le film plus intéressant qu'un autre, elle est largement servie et donc favorisée par l'époustouflant jeu de Will Smith, qui s'est littéralement "oublié" dans ce rôle - ou peut-être, s'est tout simplement imprégné du parcours de Chris Gardner (coach de Smith en coulisses), avec clouée au ventre cette crainte de souffrir et de voir souffrir un jour ceux qu'il aime.
Ici, dans cette histoire, dans ce film (orné d'une bande-son sublime), celui que Smith aime par-dessus tout, c'est son fils. Et pour lui, la dignité prime. Si la souffrance ne lui laisse que peu de répit, il a l'insolence, quand elle frappe, de rester debout. Pour l'amour d'une seule personne : son fils.
Là encore, on aurait pu craindre le prétexte pour une star à poigne d'intégrer dans son film un membre de sa famille pour attirer un public plus large. Mais il n'en n'est rien. Jaden Smith, s'il n'est pas encore un monstre, s'avère déjà être un petit lionceau qui, s'il poursuit dans cette voie, deviendra aussi impérial que son père. Parce que Will Smith dans ce film est impérial.
On se plaît à voir nous éclater en pleine figure cette entente, cette complicité, cette fusion entre un acteur et son apprenti, son fils, voire même son clône (la ressemblance est frappante), on est littéralement soufflé par leur jeu, leur naturel déconcertant (Jaden évite soigneusement les mimiques d'enfants-acteurs intimidés qui récitent plus un texte appris par coeur qu'ils ne répliquent avec leur tripes), et leur sérieux même à travers une touche d'humour.
Gardner souffre beaucoup. Il rame, court, court beaucoup, s'essoufle, s'interdit de fléchir, garde le sourire, colore sa motivation, la déguise, la parfume, la maquille parfois, mais par dessus tout, il souffre. Mais dans son périple, son plus grand allié, sa source, sa fontaine de jouvence, son soldat, c'est son fils. On ne le voit pas seulement, on le sent, on le vit, on le pense, on le respire. On sent le travail derrière, on sent l'implication, on ne la devine pas, on se la prend dans le ventre. Il en résulte un bon film, un très bon film (et que Smith a produit).
S'il y a une scène à retenir, ce sera celle de l'église dans laquelle les deux Smith font corps, dans une étreinte qui dure, sur fond de Gospel, parmi une foule d'âmes en peine qui chantent à défaut de vivre un immédiat et véritable bonheur. Dans cette scène-là, plus personne n'existe, on ne voit qu'eux. Elle ne dure pas longtemps cette scène, mais l'intensité suffit à nous prendre aux tripes.
Une autre scène ; la plus belle et la plus infernale pour moi, c'est celle du dénouement que je j'éviterai de spoiler ici.
Si les larmes ont largement coulé durant cette scène à l'époque de sa sortie en salles, les miennes ont été - une fois encore j'y reviens - pour le JEU de Will Smith. A cet instant précis, il n'est pas Chris Gardner, il n'est pas Smith, il est un homme qui entrevoit enfin le bout du tunnel.
Smith avec ce film a fait son entrée dans le cercle ultra fermé des acteurs "caméléons". Il y rejoint Samuel Jackson, Dustin Hoffman, De Niro, Pacino, Denzel Washington, Tom Sizemore, et quelques rares autres dispersés de la profession.
Je passe volontairement sur l'interprétation de Thandie Newton (qui joue le rôle de sa femme) ; car même si elle s'est à peu près bien débrouillée (peut-être un peu trop théatrale par endroits), il est clair que Smith, tout comme pour Ali, ne laisse pas de place à grand monde sur l'écran (et pour ma plus grande satisfaction).
Dans un monde normal, il se prenait l'Oscar pour ce film. Qui n'est rien de moins qu'une tuerie.
Actuellement sur Netflix si ça vous parle.
PS : Will Smith est très beau dans ce film (vintage oblige).